Comment éveiller nos élèves au plaisir de la lecture dès la maternelle ?

Isabelle Eluki

21 mars

4 mn

J’adore les livres. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si j’ai été bibliothécaire, puis libraire, avant de me reconvertir institutrice maternelle. Ce qui explique également que j’utilise énormément les albums jeunesse dans ma pratique de classe.

Ainsi, j’ai rapidement été interpellée par le fait que le plaisir d’écouter des histoires lues n’est pas partagé par tous les élèves de maternelles. D’autant plus quand ceux-ci sont allophones, c’est-à-dire non francophones, ou simplement éloignés de l’acculturation à la lecture et à l’objet livre.

Le résultat dans les deux cas est le même : ennui et décrochage. Ces élèves ne rentrent pas dans l’histoire et ne profitent pas du moment. Et au contraire de les motiver à aller vers la lecture (et donc l’écriture), c’est l’effet inverse : ils s’en éloignent, parce qu’ils construisent une idée ennuyante et inintéressante de l’objet livre et de ce qu’il permet.

J’ai donc tenté quelques méthodes…

avant de commencer...

… Un petit rappel théorique :

"Les albums jeunesse permettent de faire découvrir l’usage oral et écrit de la langue, de nourrir et développer l’imaginaire, de faire accéder à des univers de fiction et à une vision symbolique du monde, qui permettent d’expliquer le réel à travers la fiction, d’aborder des valeurs humanistes, universelles et de mieux comprendre le monde.

Ils permettent de développer des compétences transversales telles l’attention, l’écoute, la concentration, la mémorisation ; ainsi que des compétences cognitives pour mieux comprendre les récits et y réfléchir. Ils permettent de découvrir des représentations artistiques, d’être initié aux codes de l’album, de se construire un rôle actif de lecteur." (Lécullée, 2017, p. 27).

Comment s’approprier l’objet livre en classe ?

Essai n°1…

Dans un premier temps j’ai tenté de varier les albums du coin lecture de la classe. Mais c’étaient toujours les mêmes élèves qui venaient, habitués aux livres, qui avaient plaisir à en découvrir de nouveaux, en toute autonomie, au travers des illustrations.

Essai n°2…

J’ai ensuite tenté des temps collectifs de lecture. Chaque élève se choisissait librement un livre à "lire". Et à tour de rôle, ils venaient auprès de moi afin que je leur lise le livre choisi. Il s’agissait d’une lecture conjointe, qui leur laissait la posture de sujet-lecteur, puisque c’est l’élève qui tient son livre et en tourne les pages au fur et à mesure de la lecture.

Les élèves y trouvaient un intérêt certain, en particulier parce que c’était le livre qu’ils avaient choisi. Probablement aussi parce qu’ils partageaient un moment privilégié, bénéficiant de mon attention, le temps de la lecture.

Mais ces temps collectifs de lecture ne pouvaient excéder 10 à 15 minutes… le temps que chaque élève ait son temps de lecture conjointe nécessitait plusieurs séances.

Essai "Bingo" !

Durant ma formation d’institutrice, on nous avait parlé, entre autres bibliothèques, de la Bibliothèque centrale du Brabant wallon, à Nivelles, qui proposait le prêt de livres en multiples exemplaires.

Ainsi, je tentais l’expérience d’une lecture tous ensemble, chaque élève ayant un exemplaire du même album !

La solution : proposer une lecture collective

La situation de départ : chaque élève a son propre exemplaire d’album qu’il ou elle tient à deux mains, installé sur le banc, une chaise ou à même le sol du coin regroupement.

Il ou elle peut observer tranquillement chaque illustration, certains m’observant pour imiter au mieux la posture de lecteur que je leur donne l’occasion d’avoir, en toute autonomie et confiance.

La lecture étape par étape

Je leur demande de commenter la première de couverture, de faire des hypothèses sur le sujet de l’album à partir de l’illustration, d’expliquer leurs hypothèses : "pourquoi tu penses que…, qu’est-ce qui te fait penser que… ?".
Je leur lis le titre de l’histoire, en leur demandant de spécifier la couleur de celui-ci.
Je leur présente l’auteur, l’illustrateur et la maison d’édition.
Je les invite à tourner le livre afin de découvrir la 4ème de couverture et je leur lis le résumé. Ceci afin de placer les élèves en posture de lecteur, tels que la plupart des lecteurs le font pour se choisir un livre à lire.
Au signal (pour ma part, j’ai choisi une castagnette), on ouvre tous notre album. Je les invite à aller à la première page du texte et je commence la lecture.

Mes conseils pratiques

Pour se lancer, rien ne vaut une visite à la Bibliothèque centrale du Brabant wallon à Nivelles pour découvrir le fond. Elle est tout spécialement ouverte les mercredis après-midi (1er étage, en sortant de l'ascenseur à gauche).
Choisir un album qui convient aux élèves de la classe : facile à tenir et à feuilleter, texte pas trop long.
S'exercer à lire l’album à voix haute.
Prévoir un accessoire pour signaler de tourner la page du livre.

quelques albums jeunesse en multiples exemplaires

Tous différents, tous importants, ed. Langue au chat : sur le vivre ensemble, livre cartonné.
Attrap’ Bisous, ed. Kaléidoscope, sur le vivre ensemble, la confiance en soi, savoir dire non.
Pas de géant, ed. Les éléphants : à la découverte de la nature).
Un gâteau au goûter ou C’est pas ma faute !, ed. L’école des loisirs : Christian Voltz dans toute sa splendeur, rires garantis !
Quand je serai grand, ed. Mijade, pour parler des métiers.
Géant ou l’incroyable aventure des émotions, ed. Alice : album tout en illustrations, un mot émotion par page.
Coucou ! T’es qui, toi ? , ed. La poule qui pond, pour la découverte des animaux de la ferme, cartonné, dès la 1ère maternelle.

J’ai expérimenté cette technique de lecture en demi-groupe classe et en classe entière en 2ème et 3ème maternelles ; dans des écoles présentant une grande diversité culturelle et sociale, et dans d’autres écoles d’élèves plus familiers à l’objet livre et à l’écoute d’histoires.

Et c’est unanime : les élèves ont plaisir à découvrir chaque nouvel album à chaque nouvelle séance.

Car bien évidemment, la réussite de cet apprentissage nécessite de renouveler l’activité afin de susciter l’intérêt et la posture de « sujet-lecteur » chez les élèves. Leur engouement tenant du fait que de « sujet passif » qui subit l’action ils deviennent « sujet actif » qui participe et développe l’envie de lire, seul.

Isabelle Eluki, institutrice maternelle depuis 2024