En 1997, un des textes fondateurs de notre métier voyait le jour : le fameux décret "Missions". On y définissait les objectifs prioritaires de l’enseignement obligatoire. L’un d’eux visait à "amener tous les élèves à s’approprier des savoirs et à acquérir des compétences qui les rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre une place active dans la vie économique, sociale et culturelle."
En 1997, je commençais mon parcours scolaire à l’école primaire. Douze ans plus tard, je quittais les bancs de l’école secondaire pour en côtoyer d’autres, ceux de l’université. Durant toute ma scolarité, je n’ai eu que très peu l’occasion d’entendre le terme "compétences". J’ai souvent eu l’impression d’avoir appris des savoirs. Les profs le soulignaient d’ailleurs : j’étais une élève studieuse. En revanche, étais-je compétente pour autant ?
Ce même décret parlait de différents types d’évaluations, notamment la formative, visant à donner une indication à l’élève sur sa progression. Là encore, rien de tout cela ! Je repense encore à une de mes profs d’unif, qui avait tout bonnement décidé de noter ses élèves d’une manière assez originale : c’était 0, 10 ou 20/20. Les critères pour parvenir au Graal, le 20/20, tout le monde l’ignorait. On aurait presque pu croire que cette note était le résultat d’un choix totalement arbitraire.
Pourquoi cette anecdote est-elle particulièrement parlante pour le sujet qui nous occupe aujourd’hui ? Tout simplement car les élèves n'étaient ici pas conscients des compétences à mobiliser, à la manière dont ils pouvaient progresser, à ce qu’ils pouvaient améliorer. Tout l’enjeu est là !
Aujourd’hui, avec le regard du prof et, surtout, avec le recul, je me questionne encore sur notre système scolaire qui peut très vite, si l’on n’y prend pas garde, se transformer en machine à broyer des générations d’élèves sur son passage.
Dans cet article, je vous donnerai quelques pistes pour construire votre réflexion autour de l’évaluation. J'essayerai de vous convaincre qu’on peut totalement abandonner les points, si on change sa manière de voir les choses.
Abandonner les points, ça fait peur. C’est un langage commun, familier. Il parle aussi bien aux élèves qu’aux parents. Qu’ils soient positifs ou négatifs, on les comprend, ou du moins, on pense les comprendre. Mais, en réalité, ce ne sont pas les points, mais ce qui se cache derrière qui a toute son importance, la raison d’être de l’évaluation : donner un retour à l’élève pour qu’il comprenne ses forces et ses faiblesses. Quand on a compris cela, on peut entamer sa transition d’un système où on cherche à mesurer sans réellement nommer l’unité de mesure, à un système où la clé est la compétence et le degré d’acquisition de cette dernière.
La première chose à faire est de définir avec les élèves en début d’année les compétences essentielles pour son cours, les expliciter, les rendre claires à leurs yeux. Si on leur donne la grammaire de ce nouveau langage, ils seront dès lors plus à même de le comprendre. Il convient aussi d’insister sur les attentes par rapport à ces compétences, les degrés d’acquisition. Les élèves sont là pour apprendre et c’est bien normal qu’ils ne maîtrisent pas toutes les compétences dès le départ sinon quelle serait l’utilité de l’école s’ils savaient déjà tout faire?
En début d’année, je leur explique donc la différence entre NA (non acquis), EA (en voie d’acquisition) et A (acquis). J’insiste aussi sur la progression du degré d’acquisition.
Imaginez que vous ayez un rendez-vous avec deux amis. Les deux vous envoient un message vous disant qu’ils sont en route. Deux réalités se cachent pourtant derrière ce message :
Quelle est la différence entre les deux profils ? Dans les deux cas, l’ami est en cours de route. Et pourtant, quand l’un est sur le point d’arriver, l’autre sort peut-être à peine de chez lui et est bien loin de vous.
Au-delà des apparences, ce qui importe, c’est l’histoire qu’il y a derrière. Pour les élèves, au-delà des appréciations, ce sont les commentaires du professeur qui doivent attirer son attention. L’élève doit aussi être conscient que ce processus prend bien souvent du temps et accepter qu’il progresse peut-être à un autre rythme que celui de son voisin.
Le ou la prof est le cadre de référence, celui ou celle qui sait juger des compétences de ses élèves… mais ce n’est pas le seul ! Les élèves, eux aussi, sont dotés de certaines compétences, d’un esprit d’analyse et peuvent, à leur échelle, donner un retour aux autres élèves. L’avantage de ce processus est d’amener une évaluation qui paraîtra aux yeux de certains moins violente que celle du prof qui représente l’institution.
Bien évidemment, il faut cadrer tout cela. On ne peut pas simplement demander à un élève d’évaluer son camarade. Il convient d’expliquer le sens de la démarche et la manière de le faire dans un but constructif. Il faut donc également proposer des pistes d’amélioration et non se contenter de pointer un défaut. Cela sera d’autant plus parlant quand la compétence à évaluer est concrète.
Les élèves travaillent parfois en îlots, lors d’ateliers où ils doivent endosser chacun à leur tour un rôle différent.
J’utilise souvent les cartes du collectif Scape, que je modifie à ma sauce en fonction du nombre d’élèves par groupe et des attendus.
Ils doivent alors coopérer, afin de réaliser un travail commun. La réussite du travail dépend bien évidemment de l’implication de chacun dans son rôle. À la fin du travail, je demande aux élèves de me dire ce qu’ils ont pensé de la capacité à endosser les différents rôles et, s’il y a eu des problèmes, d’identifier ce qui les a amenés.
Un élève pourrait déplorer le fait que son groupe ne soit pas arrivé au bout de la tâche demandée par faute de temps. Le travail du maître du temps serait donc questionné. L’avantage des cartes de rôle est également de mettre à distance l’évaluation et de la rendre plus ludique pour les élèves.
On peut également travailler l’évaluation par les pairs en groupe classe.
Au cours de français, on peut partir d’une copie anonymisée d’un élève et réfléchir ensemble à comment le texte pourrait être amélioré. Là encore, l’approche est moins frontale mais permet toutefois de mettre en avant ce qui a posé problème dans le texte de l’élève mais aussi de souligner les éléments positifs. En effet, pour qu’un élève puisse s’améliorer, il doit tout autant être conscient de ses forces que de ses faiblesses. Il doit veiller à garder le positif tout en travaillant sur ses faiblesses.
Il est enfin possible de proposer aux élèves de travailler en binômes. Ils s’échangent leurs copies et jouent le rôle du professeur. Ils donnent des commentaires constructifs à l’autre élève pour qu’il améliore sa copie. Comme c’est réciproque, les élèves font la tâche avec sérieux et se prennent même parfois au jeu.
On passe d’un rapport de compétition parfois quand on est en présence de points à un climat plus bienveillant et serein pour l’élève. Il ne cherche plus à se confronter aux autres élèves. En l’absence de points, seules les appréciations comptent et, avec elles, les commentaires personnalisés et individualisés pour chaque élève.
Vous n’êtes pas seuls : servez-vous des forces et des faiblesses de vos élèves et n’hésitez pas à déléguer. Quelle que soit l’activité, pensez toujours à installer un cadre clair pour les élèves. La critique constructive est un art difficile qu’il faudra expliquer à vos élèves afin d’éviter tout débordement.
À d’autres moments, on peut demander à l’élève de se poser et réfléchir seul à ce qu’il fait, se questionner sur où il en est dans la matière, comment il se sent par rapport à une tâche, faire de la métacognition. Bien souvent, l’élève a du mal à formuler un commentaire à son égard. Il ne sait pas par où commencer. Là encore, il convient d’aiguiller l’élève, notamment à travers des questions précises (par exemple, des questions fermées qui attendent comme réponse oui ou non). De la sorte, l’élève pourra plus facilement mettre des mots sur ses difficultés et pointer les endroits qui coinceraient encore.
Cette étape d’auto-évaluation est également un bon indicateur pour vous, car il peut s’appuyer dessus pour conseiller au mieux l’élève. Si on voit que l’élève est en insécurité sur un point particulier, il pourra insister dessus lors de son commentaire à l’élève et lui donner des conseils afin qu’il puisse progresser dans la maîtrise des compétences.
Exemple de grille d’auto-évaluation à compléter par l’élève
Avant de proposer une auto-évaluation :
Si les points ont longtemps représenté la norme, aujourd’hui, de plus en plus d’écoles se tournent vers un système d’appréciation afin de rendre l’évaluation plus lisible et constructive pour l’élève. Pour cela, il faut prendre le temps, apprendre à l’élève à lire une grille d’évaluation, conscientiser ce qu’est une compétence et lui donner un levier afin de l’amener à développer son potentiel par lui-même. Dans ce processus, les autres élèves pourront également jouer un rôle prépondérant venant assister le professeur dans sa tâche.
Évaluer sans point, c’est changer de paradigme, se remettre en question et prendre le temps soi-même d’avoir fait son auto-évaluation sur les méthodes qui amènent les élèves vers la maîtrise des compétences.
Isabelle Dewaelheyns, professeure de français au secondaire supérieur depuis 2014, adepte de la ludopédagogie
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