Tu promets des coups de téléphone aux parents que tu ne passes pas et tu mets des retenues que tu ne suis pas. Tu te sens nul.le.
Tu n’as plus le temps pour rester à la récré avec Eléonore qui n’a pas compris la question de l’accord du participe passé avec le COD antéposé. Tu te sens nul.le.
À la récré, tu files te réfugier en salle des profs et le soir, tu te dis que ce n’était pas tout à fait pour ça que tu avais choisis ce métier au départ. Tu te sens nul.le.
Tu voudrais faire mieux et plus et en même temps, tu donnes déjà tout. Tu te sens encore plus nul.le.
Alors on ne va pas te dire que tu es le meilleur prof, la meilleure prof du monde, que les élèves se souviendront de toi plus tard, que faut pas trop te remettre en question parce que des profs pires que toi il y en a plein et que ça ne les empêchent pas de faire cours.
On ne va pas te le dire parce que c’est déjà ce que tout ton entourage t’a dit, non ? Et ça ne marche pas. Tu souris poliment et tu te sens toujours nul.le. On va donc faire autrement, on va explorer toutes tes bonnes raisons de te sentir nul.le.
1°) Évidemment que tu te sens nul.le parce que tu as regardé « Le Cercle des poètes disparus » (« Écrire pour exister » / « Esprits rebelles », barre la mention inutile) et que toi, dans ta classe c’est pas l’exaltation du savoir, c’est juste banal. Une petite leçon de plus sur le l’accord sujet-verbe et parfois une petite blague qui ne fait rire que toi...
2°) Évidemment, que tu te sens nul.le parce que tu penses à ta collègue parfaite, ton collègue parfait, qui ont trois enfants, tiennent un blog plein de ressources, réussissent à organiser des groupes de travail entre midi et deux, sont disponibles pour chaque élève, sans hausser le ton. Il semblerait même que Kevin comprend tout avec eux.
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3°) Évidemment que tu te sens nul.le parce que tu penses aussi à ton inspectrice, ton conseiller pédagogique qui t’a dit la dernière fois que tu faisais du bon travail, mais qu’il y avait des pistes d’amélioration. Tu ne penses plus qu’à ça. Et puis tu te rappelles ses mots en boucle pendant la formation : il faut être bienveillant, mais pas laxiste, ferme, mais pas sévère, être là, auprès de tous sans oublier le collectif, il faut rassurer les parents et absolument tout connaître sur les dys, tdah, hp, tsa pour pouvoir les accompagner au mieux.
4°) Évidemment que tu te sens nul.le parce que tu sais qu’il y a un référentiel de compétences pour les enseignants et qu’une fois, en y jetant un oeil, tu as fait une crise d’angoisse en songeant à tout ce que tu ne fais pas assez bien dans ta classe. Et à tout ce que tu n'arrives pas à faire du tout. Tu ne sais pas EXACTEMENT où en est chacun de tes élèves, tu te sens pas au top de ta créativité tous les jours, tu favorises l'autonomie uniquement pendant la récré, et quand tes élèves travaillent en groupe, c’est chaotique et déséquilibré.
5°) Évidemment que tu te sens nul.le parce que tu repenses souvent à Mme Martin, ta prof qui te faisait rire aux éclats quand vous appreniez les divisions, à M. Durant qui t’a captivé.e avec son cours sur l’oxydoréduction, et tu repenses aussi à Mme Dulong qui n’était pas bien grande mais que tous les élèves admiraient et respectaient, même les hauts potentiels en bordel.
6°) Enfin, évidemment que tu te sens nul.le parce que tu vis avec cette image de toi en prof infaillible à laquelle tu espères correspondre. Cette image construite sur tes rêves d’adolescent.e pour sauver le monde, ta passion et ta volonté que les prochaines générations soient meilleures que nous.
C’est pour ça que tu te donnes chaque jour pleinement dans ton travail, c’est pour ça que tu ne te satisfais pas de venir à l’école comme on fait son footing, c’est pour ça que tu travailles le soir, les week-ends et les vacances. Tu essaies de donner un peu de sens à ton métier, malgré une structure qui te méprise et t'empêche, qui rend tes conditions de travail de plus en plus difficiles, qui transforme le temps que tu aimerais passer avec les élèves en temps de paperasse inutile.
Se lever chaque matin, mettre ses mains dans le cambouis, échouer souvent, avoir mal, se demander comment faire mieux malgré tout, ne pas se protéger, transmettre aux élèves des valeurs et des outils pour comprendre le monde, rentrer chez soi, se dire qu’on aurait pu mieux faire, se coucher en se disant que c’est dur et pourtant recommencer.
Alors évidemment, on va pas t'empêcher de te trouver nul.le. On va juste te dire merci.
Merci de prendre le risque de pas être toujours au top, d'être parfois un peu mauvais.e voire totalement nul.le mais de te lever le matin pour recommencer.
Juliette Perchais, professeure dans l'enseignement spécialisé au secondaire
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